2 jours, 600 kilomètres de route dont 300 de piste et une belle frayeur plus tard, j’arrive enfin à La Paz, la capitale bolivienne. J’entre dans la ville par le Nord en traversant le quartier d’El Alto. Situé au sommet d’une des collines entourant la ville, c’est l’un des quartiers les plus populaires de la ville, et administrativement parlant une commune distincte de La Paz. L’immense avenue à 6 voies que j’emprunte longe un dédale de magasins aux stocks désordonnés. La chaussée est défoncée par endroit, et je dois en plus des trous et des plaques d’égouts manquantes prendre garde d’éviter aussi les porteurs qui ont leur dos tellement chargé de marchandises qu’ils ne peuvent voir devant eux et traversent la rue en zigzaguant. Des cholitas aussi sont là pour rajouter à l’ambiance éclectique; elles ont autour des épaules un voiles châle dans lequel elles transportent toute sorte de choses allant d’une montagne de feuilles de coca à l’imprimante laser, en passant par le petit fils, et parfois une combinaison du tout… Une anarchie absolue règne, et je ferme les yeux à chaque carrefour et accélère en priant sans même regarder la couleur des feux de signalisation que personne ne respecte de toute façon.

Plus effrayant encore que les cholitas ou les porteurs sont les vans qui servent de transport en commun, et qui s’arrêtent n’importe où sans prévenir et d’où descendent une horde de passagers pressés. Cerise sur le gâteau, pour ajouter au Barnum, la mairie a embauché de jeunes étudiants qu’elle a déguisés en zèbres et placés à toutes les intersections pour essayer d’insuffler un brin de discipline routière à ces Pacenios pressés… sans succès.

les zèbres de la municipalité, censés aider à réguler le trafic anarchique dans la ville


Je parviens miraculeusement à traverser El Alto sans accrocher la Chérie Moya et entre dans le centre ville de La Paz situé 400 mètres en aval. Un peu comme Grenoble, la ville est lovée dans une cuvette entourée par des sommets enneigés qui culminent pour la plupart à plus de 6000m d’altitude. L’altitude de la capitale bolivienne oscille entre 4200m sur sa zone la plus haute (El Alto), et descend jusqu’à 3200 dans le quartier de la Zona Sur.

Vu d’ensemble de la Paz


L’altitude du quartier permet d’en déduire quasi mécaniquement le niveau social de ces habitants: plus on vit haut et plus on est pauvre; plus on est installé dans les contreforts de la ville et plus on a une bonne situation sociale. La raison vient du fait que l’écart d’altitude entre les quartiers hauts et bas de la ville est tel que les écarts de températures sont significatifs, pouvant varier de près de 10 degrés certains jours. La seconde raison est qu’à de telles altitudes, chaque mètre en plus signifie un peu d’oxygène en moins. Dans une ville où les rues les moins inclinées ressemblent aux pentes de Montmartre, investir un peu d’argent pour économiser ses poumons et son cœur peut s‘avérer pertinent sur le long terme.

Autre particularité de La Paz, aucune maison des quartiers les plus hauts (et donc les plus populaires… bravo pour ceux qui suivent toujours) ne semble terminée. Les façades sont toutes orangées, couleur brute des briques dont sont faits les murs. La raison m’est expliquée par Mai, mon hôte sur place (cf article sur Uyuni pour en savoir plus sur Mai): les taxes d’habitation ne sont dues en Bolivie que lorsque la construction du bâtiment est intégralement terminée. Un moyen simple d’éviter de payer des impôts fonciers consiste à ne jamais terminer la construction de sa maison; il suffit pour cela d’oublier d’installer l’ultime vitre ou de ne pas peindre la façade et banco économie en perpective. C’est esthétiquement douloureux mais financièrement pertinent, et dans un pays ou 60% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, inutile de vous dire que peu de maisons sont finies de construire.
Pour découvrir La Paz, quoi de mieux que de rester avec des locaux. Ce n’est pas grâce à couch surfing cette fois-ci, mais à ma bonne étoile à Uyuni (cf article ici) que je me retrouve chez Mai Suzuki, une guide bolivienne. Je vois d’ici votre tête à la lecture du nom : «pas ce qu’on fait de plus bolivien comme nom Suzuki ». Exact, Mai est Japono-Bolivienne: elle est guide de profession spécialisée dans les touristes japonais à appareil photo. Malgré des yeux bridés et une face de citron, elle est belle est bien bolivienne, car elle est née et a grandi sur place. Ce sont ses parents qui ont fait le grand saut pour venir s’installer à La Paz il y a plus de trente ans, et ils n’en sont jamais repartis.

Non content d’être à moitié japonaise, elle partage son appartement avec d’autres japonais qui vivent sur place et sont eux aussi guides. Pour ma première soirée sur place, je mange en guise de spécialité locale un délicieux porc teriaki, en pratiquant… mon nipon car je suis le seul « blanc » entouré de japonais. Je rigole tout seul à la scène et au hasard qui m’ont conduit ici.

La Paz, mélange entre tradition et modernité


J’occupe mon temps à La Paz en cherchant un moyen de réparer le cardan de ma voiture. Chérie Moya a eu la mauvaise idée d’avoir des faiblesses d’homocinétique alors que je m’approchais de La Paz. Problème: Subaru n’est pas présent en Bolivie, et la concession la plus proche est à Lima… 2200 kilomètres plus au Nord avec les Andes à traverser.

Je passe de garage en garage, mais partout la réponse est la même : impossible de trouver des pièces Subaru en Bolivie. Mai me propose d’aller faire un tour au marché 16 de Julio, également connu comme “le marché des voleurs”. Il se tient tous les week end à El Alto, et a la réputation d’être non moins que le plus grand marché d’Amérique du Sud. Un coup de minibus et 1000 mètres de dénivelé positif plus tard et nous voici au milieu de ce gigantesque bazar de rue, qui couvre pas moins de 30 rues de long et 30 rues de large. Le plus dur est de se retrouver à travers tous les objets en vente : vestes de montagne, appareils photos, détendeurs et bouteille de plongée (mais il n’y a pas la mer en Bolivie ???), mais bouillis, gants de boxe, consoles de jeu, bombes d’équitation…
J’en profite pour m’acheter une paire de basket. Impossible de savoir si ce sont des vrais, des fausses ou de la seconde main (ou plutôt du second pied…), mais je me dégotte une paire de Oasics pour moins de 20 euros. Une particularité lorsque l’on achète des chaussures ici, il est inutile de demander sa pointure car tous les modèles sont taille unique. Taille unique veut dire que chaque magasin n’a qu’une seule pointure en stock, en réalité ils n’ont même qu’une paire de chacun des modèles qu’ils exposent en stock: pas si facile dans ces conditions de trouver chaussure à son pied. Inutile non plus de demander ici d’où proviennent les chaussures, ni même si elles sont usagées ou non… ce genre de question n’est pas très bien venue, et puis à 20 euros la paire, quelle importance?
Un recoin du marché est dédié aux voitures et aux pièces détachées. La variété des pièces disponibles est époustouflante. Tout est ici disponible, sauf… un homoconétique pour une Subaru Outback de 2004. Je trouve tout de même un vendeur qui me propose de revenir la semaine suivante en me promettant qu’il aurait la pièce. Je lui demande naïvement s’il va l’importer du Chili ou du Pérou, mais je comprends au vu de son regard que la pièce viendra du marché local; s’il s’avère qu’un autre bougre a une Subaru Outback de 2004 dans La Paz, il se pourrait bien que son cardan disparaisse mystérieusement pendant la nuit. J’hésite mais choisis finalement de décliner l’offre.

Mai finit par me présenter l’un de ses amis qui tient un garage et qui à ses heures perdues est champion bolivien de rallye automobile. Ca ne peut pas mieux tomber! Comme dans tous les pays où les pièces détachées et l’argent manquent, la démerdise est sans limite. Il me confirme que la pièce dont j’ai besoin n’est pas dispo mais me propose de retirer le cardan et de faire remplacer par un artisan du coin le roulement à billes défectueux. J’ai des doutes sur la faisabilité d’un tel truc, mais il m’inspire confiance et je n’ai pas vraiment le choix. 4 jours plus tard, en reprenant le volant de ma voiture, je découvre avec joie que j’ai eu raison d’avoir fait confiance à Miguel: plus de bruits de raclements terrible lorsque je tourne le volant où grimpe une cote.

Au final, j’apprécie le temps que je passé à La Paz. L’énergie qui se dégage de la ville est communicative, et l’anarchie ambiante ne me lasse pas et me fait rire tous les jours un peu plus. La Paz a du caractère et une identité qui lui est propre, clairement latino et j’aime cela. Bien sûr et comme d’habitude, c’est aussi grace aux gens que je rencontre sur place que mon expérience devient aussi si positive et unique. Merci à eux pour leur accueil !

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14 Comments

  1. Bravo pour tes baskets ! J’ai aussi connu des marchés aux voleurs avec le même système : piquer ailleurs ce qu’il te manque ! Tu as eu raison pour ta Chérie. Et je suis heureuse de voir qu’une fois de plus tu es avec des gens sympas. Merci pour ce stop à la Paz.

  2. Bravo pour tes baskets ! J’ai aussi connu des marchés aux voleurs avec le même système : piquer ailleurs ce qu’il te manque ! Tu as eu raison pour ta Chérie. Et je suis heureuse de voir qu’une fois de plus tu es avec des gens sympas. Merci pour ce stop à la Paz.

  3. Et ben la cuisine francaise te manquerait-elle? 😉

    1. Ben ca fait toujours plaisir de cuisiner pour des gens cool non? Cuisiner c’est pour partager

  4. peux tu me trouver une paire de NIKE jaune avec des bandes noires ?????suis prêt a mettre 5 euros ; merci ;

    1. Et ma commission dans tout ça?

  5. peux tu me trouver une paire de NIKE jaune avec des bandes noires ?????suis prêt a mettre 5 euros ; merci ;

    1. Et ma commission dans tout ça?

  6. “les taxes d’habitation ne sont dues en Bolivie que lorsque la construction du bâtiments est intégralement terminée”
    Ils se sont inspires des grecs? Je dis ca je dis rien…

  7. […] aussitôt fait, je décide un samedi en milieu d’après midi de m’attaquer avec Mai (cf ici pour ceux qui aurait raté un épisode et ne savent pas qui est Mai) à cette fameuse route de la mort au volant de ma Chérie Moya. De La Paz je grimpe tout […]

  8. […] restaurant. Mon arme secrète: Mai la boliviano japonaise que j’avais rencontrée à La Paz (souvenez-vous) et qui m’a accompagné à Lima: parlant couramment la langue de Takeshi Kitano, elle a rendu […]

  9. […] mon sac à garder à Mai, la bolivienne qui continue à m’accompagner dans mes aventures (cliquez ici pour en savoir plus si vous avez raté un épisode), et je me précipite sur le parking. Le bus est […]

  10. […] mon sac à garder à Mai, la bolivienne qui continue à m’accompagner dans mes aventures (cliquez ici pour en savoir plus si vous avez raté un épisode), et je me précipite sur le parking. Le bus est […]

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