Pour ceux que la Birmanie commence à fatiguer, réjouissez-vous, ce sera le dernier article concernant ce pays. Pour les autres, et bien réjouissez-vous aussi , car en voilà un de plus. C’est en fait plus une réflexion personnelle que j’avais envie de partager qu’autre chose. J’espère qu’elle vous intéressera et vous donnera à vous aussi matière à reflexion. Vos commentaires sont évidemment les bienvenus.

Avant d’aller en Birmanie, l’impression dominante est que le pays est dirigé d’une main de fer par une terrible dictature militaire, qui utilise la terreur, les matraques et parfois les fusils pour asseoir sa légitimité et se maintenir au pouvoir. En plus de faire régner la terreur cette junte est aussi largement corrompue et détient des pans entiers de l’économie du pays, aux dépends des intérets nationaux et du peuple lui même.

Après le mois et demi que j’ai passé sur place, force est de constater que cette analyse est le reflet de la réalité. En plus de leur corruption aigue, les dirigeants actuels souffrent également d’un mal qui s’apparente fortement à une maladie mentale: leur croyance dans la numérologie et l’astrologie les poussent à prendre toutes sortes de décisions délirantes. Par exemple l’une d’entre elles était de remplacer la valeur de tous les billets de banque par des multiples de 9 car c’était le chiffre porte bonheur du dictateur de l’époque. Inutile de dire que rendre la monnaie sur un billet multiple de 9 est folklo surtout quand il faut le faire avec des billets de 9. Une autre histoire qui pourrait être cocasse si elle n’était pas inquiétante : le changement officiel de capital de Yagoon vers Nay Pyi Daw, qui a eu lieu le 7 novembre 2005 à 6 :07 du matin précise car les astrologues entourant les généraux avaient vu dans les astres que cela serait plus propice au développement et à la longue vie de cette nouvelle ville.
Le bien être de leur peuple ne fait pas partie des considérations des dirigeants. Je ne reviendrai pas plus sur les très nombreuses exactions et atteintes aux droits de l’homme commises depuis 50 ans dans le pays. Je vous renvoie vers mon précédent article pour cela.

Aucun doute donc que la Birmanie est depuis cinquante ans dirigée par des fous dangereux. Mais le constater ne suffit pas et ce que j’ai voulu c’est m’interroger sur les alternatives qui existent à la dictature actuelle.

Depuis longtemps je m’intéresse à la géopolitique et j’ai, pour ainsi dire, passé l’âge de croire que les gens et les régimes étaient « blancs ou noirs ». Néanmoins dans le cas birman, l’irrationalité et la férocité avec lesquelle le pays est dirigé me poussent à croire que les dirigeants actuels se rapprochent grandement du mal absolu.

La question n’est donc pas de savoir à quel point ils sont méchants, mais d’étudier quelles alternatives existent au régime en place. Pour répondre à cette question, il faut d’abord considérer la population du pays. Elle ne constitue pas un ensemble uniforme. Au contraire c’est une multitude de groupes ethniques qui vivent les uns à coté des autres sans réellement se mélanger. Ils interagissent entre eux la plupart du temps pour des raisons commerciales mais ne forment pas un ensemble homogène. J’ai eu l’occasion d’observer cette hétérogénéité lorsque je me promenais dans le Shan State à la rencontre des tribus. Aucune ne parle la même langue, et le Birman pourtant langue officielle n’est connu que d’une infime minorité des habitants. Ainsi des villageois ne vivant pourtant qu’à quelques kilomètres les uns des autres ne peuvent pas communiquer entre eux.

Les groupes ethniques les plus importants disposent de groupes armés regroupant parfois des dizaines de milliers d’hommes. Ils disposent aussi de leurs propres leaders politiques. Certains sont en lutte ouverte et armée avec le gouvernement central. Dans les régions où ils sont majoritaires (par exemple le Nord avec les Shans), les conflits armés sont incessants. Ces groupes sont financés par des moyens diverses dont le trafic de drogue et les pierres précieuses. Tout comme l’armée gouvernementale, certains ont massivement recours à l’engagement d’enfants soldats. Nous sommes donc assez loin de l’image de résistants héroïques. Cette résistance à l’armée officielle fait-elle pour autant de ces groupes armés des combattants pour la libération du pays ? Difficile de le dire, mais cela semble assez peu probable.

Si l’on se penche sur l’histoire du pays, on s’aperçoit que suite au départ des anglais, et à l’indépendance du pays, les tribus se sont rapidement affrontées entre elles. Leurs revendications étaient souvent l’obtention de leur autonomie, voire de leur propre indépendance. L’arrivée des militaires au pouvoir s’est d’ailleurs initialement faite de manière consentie pour essayer de rétablir l’ordre dans le pays qui était menacé par le chaos. Bien sur cette prise de pouvoir initialement légale s’est ensuite prolongée sous forme de coup d’état militaire qui perdure aujourd’hui.

Réalisant qu’ils ne pourraient pas combattre tous ces groupes à la fois, la junte au pouvoir leur a proposé des deals : en échange de terres riches en ressources naturelles et d’une totale liberté d’exploitation de ces richesses, ils ont demandé aux chefs tribaux de cesser les conflits. Ces arrangements ont fonctionné pour un grand nombre de groupes ethniques. C’est ainsi que les responsables des Pau par exemple, sont passés de chefs de guerre à grands exportateurs de pierres précieuses, dont certains siègent au parlement. Certains des groupes ont néanmoins refusé ces arrangements et continué la lutte armée, mais ils forment une minorité. L’unité du pays semble donc difficile à obtenir, car les intérêts des uns et des autres divergent et que la paix ne semble qu’être achetée ou gagner par les armes.

Lorsque l’on parle de la situation politique de la Birmanie, un nom revient aussi systématiquement: celui d’Aung San Suu Kyi, ce prix Nobel de la paix emprisonnée pendant des dizaines d’années. Cette femme d’un courage exemplaire, jouit d’une grande notoriété en Occident et bénéficie de par son père, le général Aung San qui a personnellement négocié l’indépendance avec les Britannique, d’une grande popularité dans le pays.

Néanmoins et en admettant qu’elle parvienne au pouvoir, parviendrait-elle à unifier tous ces chefs tribaux ? Dur de le dire…

Aujourd’hui le régime semble vouloir entamer une ouverture dans sa politique. Les lois et la constitution sont entrain d’être revues. Une nouvelle génération de dirigeants, tous issus d’universités anglaises ou américaines est entrain de prendre les rênes du pouvoir. Les images du printemps arabe ont semble-t-il marqué les esprits, y compris en Birmanie où les dirigeants birmans auraient d’après certains, commencer à se rendre compte que la situation ne pouvait que mener à leur fin tragique.
Le nouveau président Thein Sein, un ex militaire qui a retiré son uniforme kaki pour devenir le premier civil, président de la république de Myanmar en Mars 2011, semble vouloir ouvrir le pays aux investissement étrangers.

Ces changements affichés de mentalité suffiront-ils pour rendre la vie des Birmans moins terrible. Je ne le pense malheureusement pas et je reste persuadé qu’un changement beaucoup plus brutal sera nécessaire pour leurs rendre ce dont ils sont dépossédés depuis si longtemps. Néanmoins, la question qui demeure entière, c’est que faire après avoir renverser les dictateurs ? Qui pourra réunifier la Birmanie, et au fond la Birmane est-elle réunifiable?

Les choses sont toujours plus compliquées qu’elles ne semblent l’être, en politique plus que nulle part ailleurs…

Dessin de Rodho extrait de Blorg ! Corp

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