Pour ceux qui suivent mes posts, je vous avais dit qu’apres mes trois jours dantesque à Téhéran, j’avais choisi de mettre le cap sur Kashan.
C’est réputé pour être un bourg traditionaliste. Normal puisqu’il n’est situé qu’à 100 km de Qom, le centre du monde pour tous les barbus qui font les lois et la politique du pays. Arrivé sur place et un peu par hasard, je me retrouve dans un petit hôtel, le e-Shahan. Passage de réception sans histoire particulière, mis à part ma grande surprise d’être accueilli dans un anglais irréprochable.

Après avoir rempli les formalités d’usage, je rentre dans la cour, et soudain, changement complet de décor. C’est une maison persane refaite intégralement. C’est absolument magnifique et je reste sous le choc.

Mais ma chance ne fait que commencer. Alors que je suis dans le jardin à discuter avec un anglais en vacance et une allemande photographe pour le National Geographic (et oui on fait parfois des rencontres intéressantes à l’autre bout du monde), la demoiselle à l’anglais irréprochable vient me chercher pour me demander si je veux bien les aider à trier des livres français. Ni d’une ni deux je m’élance et tombe dans le piège qui m’est tendu. En fait ce ne sont pas quelques livres, mais 10 cartons de vieux bouquins qui défilent devant moi.

Parmi les ouvrages, des choses aussi variées que « Le Cid », « les Fables de la Fontaines », un livre d’apprentissage de la lecture via la méthode accélérée pour les classes de CP, une thèse sur l’évolution de la femme dans la société moderne iranienne, mais aussi l’intégrale de Jean-Luc Godard ou encore l’histoire des costumes sous le règne de Louis XV.

Mon rôle est clair. Assis dans un fauteuil, on me fait passer les livres et je dois définir leur type (roman, théâtre, poésie) et si je pense qu’ils sont bien ou pas. Un rôle de censeur de premier ordre puisqu’en fonction de mes dires, les livres sont triés, et les malheureux qui obtiennent la mention « pas bon » finissent dans un autre carton direction… les oubliettes des livres. Je suis complice malgré moi d’un autodafé… tous coupables je vous le dis…
La séance de trie dure une bonne 1 heure, à l’issue de laquelle je suis invité à aller manger avec le staff de la pension. J’accepte avec plaisir et je me retrouve dans un cadre traditionnel iranien. Assis sur des tapis nous partageons un Dizzie, un ragout absolument succulent. Pendant le repas, on me demande mon âge. Quand j’annonce mes 27 ans, ils sont tous surpris, pensant que j’ai beaucoup plus. Je retourne donc le jeu et on me demande de deviner l’âge du propriétaire des lieux. Je lance un 50 ans, assez sûr de moi, et là, c’est le drame, on m’annonce qu’il n’en a que 39.

Mais le drame est aussi l’occasion de lancer une nouvelle conversation dont le sujet est : « ce sont les persécutions de la police qui l’on fait vieillir plus vite ». Les deux filles de l’assistance qui parlent bien anglais s’emparent du débat. L’une est diplômée d’art et dessine des tapis, l’autre diplômée de théologie. Elles travaillent toutes les deux à l’hôtel. Les filles, 27 ans chacune, enfin les femmes devrais-je dire puisqu’elles sont toutes les deux mariées m’expliquent tout d’abord qu’elles aiment leur pays. Elles aiment manger assis sur les tapis, elles aiment le ragoût que nous venons de déguster, elles aiment cette maison persane, elles aiment leur langue… Pourtant malgré tout l’amour qu’elles lui portent elles se sentent mal.

A la question comment voyez-vous l’avenir elles me répondent simultanément : Sombre. Alors quand je leur demande si la majorité de la population est comme elles, elles m’expliquent que oui. Pas tous pour les mêmes raisons, elles ce qui les déprime c’est que le pouvoir est en guerre contre l’art. D’ailleurs le sanctuaire de Kashan, sert à financer une ONG qui promeut la culture. Il a permis d’ouvrir deux bibliothèques dans la ville. Pas de chance, certains livres en consultation n’ont pas vraiment plus aux officines officielles; la condamnation est tombée récemment: les 2 bibliothèques ont du fermer pour une durée de 45 jours et ce jusqu’à nouvel ordre.
Mahmoud qui a créé le sanctuaire est assis avec nous à table. Il ne parle pas bien anglais mais on m’explique que c’est un écrivain. Il est inquiété pour plusieurs des ouvrages qu’il a publiés. Voilà pourquoi il fait si vieux. Se sont les soucis qui l’ont vieilli, consumé avant l’âge.

La conversation continue, et alors que tout le monde quitte la salle, je me retrouve seul avec les deux anglophones. Nous parlons alors de la situation économique qui est des plus catastrophique. Toutes les 2 s’accordent pour dire que la situation s’est terriblement dégradée depuis la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Elles sont aussi unanimes pour dire que les libertés ont suivi la croissance économique depuis son arrivée au pouvoir. De plus en plus réduites.

Je ne peux résister plus longtemps à la question qui me brule les lèvres depuis le début de la conversation : « Mais alors si le système est si mauvais pourquoi la population ne se révolte pas ? » La question est légitime, depuis mon arrivée en Iran, l’ensemble des personnes que j’ai rencontrées critiquent de manière très virulente le régime qu’ils accusent d’être liberticide et incompétent. La réponse ne se fait pas attendre : « Le Iraniens ont peur… notre pays, c’est que l’armée. Et un pays quand c’est que l’armée, et bien ca n’est pas bien, ca ne va pas… »
Evidement un régime tel que celui en place n’inspire pas la confiance. La société est policée, je m’en suis moi-même rendu compte en voyageant. La loi impose aux hôteliers de déclarer chaque jour les numéros de passeport des étrangers. Ainsi chaque fois que je me retrouve dans un hôtel on me prend systématiquement mon passeport. Les téléphones portables aussi sont très contrôlés et pour obtenir une SIM card prépayée, j’ai du fournir mon passeport et attendre que les autorités approuvent ma demande avant que ma ligne soit activée. La société est bien encadrée, bien tenue et la révolte difficile.

L’autre question qui me brule la langue c’est ce qu’elle pense du régime islamiste. Vu par la lorgnette d’un esprit français, une théocratie est forcément mauvaise: par essence. A mon grand étonnement la réponse apportée est très tempérée.

« Le régime islamiste n’est pas bon, il atteint la liberté des femmes, mais avant ce n’était pas mieux avec les Pahlavis. Entre mauvais et pire, les Iraniens quand ils ont un choix à faire choisissent toujours le pire. C’est ce qui est arrivé avec les Pahlavis quand on a du choisir entre eux et les Quajars. Et ce qui s’est passé avec les Islamistes, c’est pareil, ils sont encore pire que les Pahlavis »

Mais alors quelle est la solution ? si la révolte n’est pas possible comment voient-elles l’avenir ? Pensent-elles que l’intervention d’un pays étranger pourrait « aider » les Iraniens?

« Les Etats-Unis ne connaissent pas les problèmes des Iraniens. Seuls les Iraniens peuvent choisir ce qui est bon pour eux… »

La situation semble bloquée, et au fond ce que tous les iraniens craignent avant tout c’est la guerre.

C’est d’ailleurs ce qu’un soldat que j’ai rencontré 3 jours auparavant dans le bazar de Téhéran et qui m’avait servi de guide m’avait dit : « Moi je suis militaire, je ne devrais pas te le dire, mais Ahmadinejad, il est fou. Et je suis militaire, pourtant c’est moi qui te le dis. La seule chose qu’il veut s’est la guerre avec les Etats-Unis »


Quand je lui demande s’il pense que cette guerre va arrivée, il me répond : « Bien sur qu’elle va arriver, ils ne vont pas être patients éternellement… » Une conversation quasi irréelle en plein milieu de la capitale, ce jeune militaire m’explique avec fatalisme qu’il est convaincu que le destin de son pays sera tragique.

A la même question les filles me répondent : « Mon esprit est sombre, mon morale est sombre. Bien sur il va y avoir la guerre. Mais ca ne sera pas facile pour Israël et pour les USA. Quand la guerre éclatera tout le monde va être surpris… » Je ne sais plus vraiment quoi dire. Les yeux d’une des deux filles sont vides, vides d’espoir.

C’est saisissant, tellement saisissant que ca me met mal à l’aise. L’impression que cette jeunesse iranienne attend une chose : la guerre, alors même qu’ils sont convaincus que ca ne les aidera pas… L’espoir semble s’être en aller. Dans la pièce où je me trouve je ne sens plus qu’une chose, du fatalisme, la sensation pesante que le futur est écrit…

Dans Kashan, il y a au milieu de la ville un petit paradis. Bien sûr les jolis bassins où se dandinent quelques poissons rouges dans le jardin, les bancs recouverts de kilims, la maison magnifiquement refaite, contribuent à la douceur de vivre, mais surtout il y a ces gens qui font tourner l’hôtel. Cultivés et victimes des excès du régime.

Dans ce que j’aime appeler ce sanctuaire, une fenêtre sur l’Iran vient de s’ouvrir à moi, au delà des clichés et des commentaires du tout venant. Dans ce sanctuaire, je viens d’avoir une analyse de la situation du pays, une analyse sombre très sombre qui semble sans espoir pour ces jeunes. Je souhaite qu’ils se trompent et qu’une autre voie soit possible.

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2 Comments

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  2. Quand je pense que tu as trie des livres français en Iran, c’est assez inattendu, c’est le moins que l’on puisse dire!
    Effectivement les analyses des locaux que tu as rencontre sont plus que sombres et je souhaite également qu’il y ait une autre échappatoire. C’est un pays riche de sa culture, j’espère qu’ils sauront le sauvegarder.

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