Nous sommes le 21 décembre lorsque je quitte le Texas en direction de la Louisiane. La Nouvelle-Oléans se trouve à environ 600 km de Houston et je me donne 4 jours pour y arriver tout en profitant des paysages sur la route. Côté texan, ce sont toujours des champs parsemés de milliers de derricks que j’observe de part et d’autres de la route. C’est ces forages qui ont fait la fortune de cet Etat, et les nouvelles techniques de fracturation hydraulique ont relancé la production en permettant l’accès à des gisements jusque là inaccessibles.

Passé la frontière avec la Louisiane, les paysages change lentement et je découvre ce que sont les bayous. La chanson de Mister Gims Bella (et oui, j’ai de la culture…) commence à les faire connaitre, mais pour ceux qui n’écouteraient pas skyrock régulièrement, une petit séance de rattrapage.

Les Bayous sont des marécages d’eau douce, qui s’étendent dans toutes la Louisiane et forment un réseau navigables de plusieurs milliers de kilomètres. Ils ont été formés par des anciens bras du Mississippi. Ils forment un écosystème fragile et unique, dont les habitants les plus envahissants sont certainement les moustiques.

alligators? on se marre d’abord, et puis on finit par plier sa tente 🙂


Mais une anecdote me fait découvrir que les bayous abritent aussi un autre type d’habitants. Alors que je plante ma tente en retrait de la route, pour aller passerla nuit sur place, je vois au loin une habitante arrivée. Connaissant l’importance que donnent les Américains à la propriété privée, je ne me fais guère de doute sur ce que la femme va bien pouvoir me dire. Alors que je continue de planter les sardines tout en la saluant, elle m’interpelle:

Si j’étais vous je ne planterai pas votre tente ici
Je suis entrain de m’installer sur votre terrain?
Non mais il y a une importante présence d’alligators dans le coin, et pour aller pisser la nuit, ca risque d’être périlleux…

C’est effectivement implacable et je n’y avais pas pensé. Se réveiller en pleine nuit et découvrir qu’un gator a établie domicile sous ma moto n’aurait pas été le plus fun.

Quelques jours plus tard, c’est une autre question qui me taraude. Nous sommes le 24 décembre, veille de Noel et je n’ai pas la moindre idée d’où je vais passer mon réveillon. C’est mon troisième réveillon de Noel sur les route. Une famille arménienne m’avait gentiment invité chez elle lorsque je me trouvais à Ispahan en Iran, en 2010 (souvenez-vous). L’année suivante, c’est dans la vallée Exploradores que je passais la soirée, en compagnie de Marion et de Jeff, deux voyageurs avec qui je traverserai une partie de la Patagonie; nous avions fait un petit feu et écoutions le bruit des séracs du glacier voisin s’écraser se détacher et s’écraser sur le sol dans un immense fracas.

N’ayant pas pris le temps de chercher un hôte couchsurfing, je décide de passer le réveillon de Noel avec Lizzy, sur la route. La route est finalement celle qui m’a été le plus fidèle durant toute mon aventure, j’ai passé ces 2 ans et demi avec la route en file rouge, c’est elle qui m’a guidé toujours plein Est pour boucler ce tour du monde. En y réfléchissant, je trouve normal et poétique de passer ce dernier réveillon de Noel avec elle. Le voyage m’a toujours réservé des surprises, la plupart du temps bonnes, et je me dis qu’il en sera peut-être de même pour ce 24 décembre.

Alors que je suis à deux cents kilomètres de la Nouvelle-Orléans, la route que j’emprunte se met à longer la mythique rivière Mississippi. Je m’offre une session de off road sur les digues construites pour canaliser cet énorme de cours d’eau. En le regardant, je pense aux aventure de Huckleberry Fin; fermant les yeux et tentant d ‘imaginer Huck et Jim sur leur radeau. Je longe le fleuve pendant un centaine de kilomètres et m’étonne de voir sur les berges d’immenses tas de bois.

Alors que je traverse de petits villages, les tas de bois se font de plus nombreux, et j’en remarque un en forme de bouteille de Jack’s Daniel. Cela ne peut pas être une coïncidence.

un Bonfire en forme de bouteille de JD


Je passe devant un bar de motards et décide de m’arrêter pour poser la question. Les motards en question ne sont pas de jeunes et frêles bmwistes. Ils sont plus du genre, soixante ans, meilleurs amis avec leur tatoueur, deux litres de bière au petit déjeuner juste avant d’enfourcher leur harley pour aller au bar du coin. Qu’importe, je gare ma moto et m’approche d’eux. La propriétaires du bar, une jeune femme de 30 ans, qui a déjà 7 enfants à son actif, dont la plus âgée à tout de même 15 ans (je vous laisse faire les maths…) enclenche la conversation avec moi.
Je lui explique rapidement mon périple. Elle a du mal à placer les pays que je lui énonce sur la carte, en fait je finis même par m’apercevoir qu’elle a du mal à placer la France sur la carte. Deux de ces filles sont à coté de nous et nous écoute parler, lorsque l’une d’entre elle, 14 ans me demande très sérieusement:

Tu connais le rap?

Je la regarde en souriant et lui répond:

Tu préfères quoi, Fifty Cents ou Emninem?

Stupéfait de ma réponse, l’autre me demande tout aussi sérieusement:

Mais vous avez la télévision en France?

Pensant d’abord à une blague, je lui répond qu’on a aussi l’eau courante te l’électricité, mais je comprends vite qu’elle n’est pas sarcastique, mais au contraire très sérieuse et surtout curieuse. Palme de la soirée, sa soeur lui répond

tu vois je t’avais bien dit qu’il n’était pas Chinois ce sont les Chinois qui ont pas l’électricité

La scène est surréaliste mais pourtant bien réelle. Je suis dans le fin fond de la Louisiane, dans ce que l’on aime appeler l’Amérique profonde. Une Amérique extrêmement rurale, convaincu de sa supériorité et de son devoir de guider le monde, une Amérique qui vit centrée sur elle-même et qui ignore tout du monde qui l’entoure. Cette Amérique bien heureusement ne représente pas l’ensemble du pays, mais elle existe belle et bien et explique que des politiciens, dans un passé pas si lointain, aient réussi à convaincre, en utilisant un vocabulaire digne de Star Wars, du bienfondé d’une guerre du Bien contre le Mal.

Après avoir continuer à échanger un peu avec les enfants, leur mère me demande de prendre une photo d’eux posant à coté de petits drapeaux américains, représentant les 27 tués de la tuerie de Newtown, qui s’est passé quelques semaines plus tôt dans le Connecticut. Après avoir pris quelques clichés, la mer m’explique qu’elle souhaite les envoyer au journal local qui a organisé un concours du meilleur mémorial après la tragédie.

des enfants entrain d’installer de petites croix en mémoire des victimes de Newtown


Je finis enfin par lui poser la question qui m’a poussé à m’arrêter: à quoi servent ces gigantesques buchers dressés le long des berges du Mississippi. Je découvre que c’est une vieille tradition, qui remonte à la présence française en Louisiane. Afin de guider le Père Noel jusqu’à la Nouvelle-Orléans, les habitants allument à 7pm précise, de gigantesques feus de joie et tirent des pétards afin de guider le barbu.
Je choisis de rester jusqu’à ce que le spectacle commence et je ne regrette pas ma décision. Des milliers de personnes affluent des villes alentours et longent la rivière pour admirer le spectacle. Les journalistes sont aussi présents en masse (dont CNN) pour rapporter en direct live le Bonfires Festival.

le Bonfires se consument dans une odeur de kérosène tandis que les gamins tirent des pétards


Alors que les derniers buchers s’effondrent dans une intense odeur de Kérosène, je reprends finalement la route en direction de la Nouvelle-Orléans pour passer la nuit. Une fois de plus, les hasards de la route m’ont permis de passer une soirée originale et de faire des rencontres étonnantes. Mais aujourd’hui plus que d’habitude, il m’a fallu m’efforcer d’appliquer ma devise: Observer sans jamais juger.

Et Zou un pelle-mêle photo, et un Joyeux Noel à tous (avec seulement 7 mois de retard, vu le moment où je pousse cet article :-))

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6 Comments

  1. Et ben dis donc decidemment tu as le chic pour decider de dormir pres des crocodiles et autres aligators!
    On a tous en nous quelque chose de Tennessee…

  2. Et ben dis donc decidemment tu as le chic pour decider de dormir pres des crocodiles et autres aligators!
    On a tous en nous quelque chose de Tennessee…

  3. J’adore ton récit, tu as vécu une aventure formidable. J’adore spécialement le passage où les filles te demandent si on a la télévision en France.
    Merci

  4. J’adore ton récit, tu as vécu une aventure formidable. J’adore spécialement le passage où les filles te demandent si on a la télévision en France.
    Merci

    1. @Sarah: Merci pour ton commentaire. Effectivement, j’ai été assez surpris en entendant la question. Cela dit, l’erreur que font parfois les Européens est de penser que tous les Américains sont comme ça. Ce n’est pas le cas; cela dit l’erreur inverse serait de croire qu’aucun n’est comme ça… Leur position de méga puissance a poussé une partie de la population ç se complaire dans une forme d’auto suffisance, pensant qu’ils leadaient le monde et que le reste de la planète ne rêvait que d’être comme eux. Cette position amène même certains à approuver en toute bonne foi des déclarations comme: “l’axe du bien contre l’axe du mal”, convaincu qu’ils détiennent une forme de vérité absolue.

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