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Agnes, un porte container Panamax traversant les écluses de Miraflores

Comme la plupart des gens, lorsque j’entends le nom de Panama, je l’associe quasi-systématiquement avec le mot “canal”. Et c’est finalement bien normal, car peu de pays peuvent se vanter d’être coupés en deux par le seul canal interocéanique du monde!

Mais revenons un peu sur l’histoire cet incroyable chef d’oeuvre d’ingénierie.
L’idée de faciliter le transit des personnes et des marchandises entre l’Océan Atlantique et l’Océan pacifique n’est pas nouvelle. Durant la ruée vers l’Or et la conquête de l’Ouest Américain déjà, les émigrants pour éviter les territoires du centre du pays, aux mains des hostiles Indiens et des despérados, faisaient un long détour d’abord par bateaux jusqu’au Nicaragua, puis par voies terrestres pour traverser le pays, avant d’embarquer à nouveau sur des embarcations pour remonter jusqu’en Californie.

détour à effectuer par un bateau s’il n’emprunte pas le canal de Panama, crédit carte: google map

Un rapide coup d’oeil sur un carte permet de comprendre que le continent américain, qui sépare les deux plus célèbres océans mondiaux, pose un problème aux marin: il force quiconque souhaitant relier par la mer, l’Atlantique au Pacifique, à faire un détour de plus de 15000 kilomètres. En plus d’une durée de transit allongée et d’un coût accru, le contournement du continent par le Sud (la route Nord étant impraticable du fait de la présence de la banquise arctique) pose de grands dangers, puisqu’il oblige la navigation à travers le passage de Drake et le célèbre Cap Horn, deux endroits où les mers sont parmi les plus déchainées de la planète.
Pour réduire les coûts et les risques, une première voie de chemin de fer, qui traverse le Panama d’Ouest en Est, est inaugurée en 1885. Les marchandises devant transiter entre les deux Océans sont transférées des bateaux vers des trains, d’un côté du Panama, puis inversement après qu’elles aient traversé le continent par la terre. Cette liaison ferrée interocéanique améliore les délais et réduit les risques, mais nécessite un surplus de manutention considérable. La solution la plus optimale serait de permettre aux navires de directement traverser le continent… oui mais comment?
une des locomotives oeuvrant aujourd’hui sur le Panama Railway système, dont le parcours reprend en grande parti le trajet original de la première liaison ferroviaire interocéanique

En 1879, le Français Ferdinand de Lesseps, qui jouit d’une grande popularité après avoir dirigé avec succès la création du canal de Suez, reliant la Mer Méditerranée à la Mer Rouge (et par extension à l’Océan Indien), crée la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama. L’objectif de cette compagnie est de réaliser un canal situé au niveau de la mer, reliant l’Atlantique au Pacifique. Au plus fort du chantier, prés de 20 000 ouvriers, principalement originaires des Caraïbes et de Jamaïque, sont employés pour creuser ce canal et mettre à niveau l’intégralité de son tracé : un travail titanesque. Confronté à d’importantes difficultés techniques, le projet initial est revu. Gustave Eiffel vient en aide à Lesseps et imagine un système de canal à 10 écluses, abandonnant l’idée d’un canal au niveau de la mer, et réduisant par la même l’ampleur des travaux de terrassement nécessaires. Malgré ce changement de stratégie, les Français rencontrent d’autres difficultés: la fièvre jaune et le paludisme, qui sont colportées par les moustiques qui infestent la région, provoquent la mort de plus de 20 000 ouvriers. En 1889, les problèmes sanitaires, couplés à des difficultés financières et à plusieurs scandales forcent Lesseps à abandonner les travaux et déclarer la faillite de sa compagnie. Malgré une tentative de reprise en 1894 par l’ancien ingénieur en chef du chantier, Philippe Bunau-Varilla, le rêve des Français de connecter les deux océans ne voit jamais le jour.
Après l’abandon du projet, les Américains, qui étudiaient jusqu’alors la faisabilité d’un canal au Nicaragua, ont un intérêt grandissant pour le chantier panaméen laissé à l’abandon. Des études sont lancées et valides la pertinence d’un canal au Panama, mais rejettent le choix de le construire au niveau de la mer. La décision américaine de reprendre les travaux est prise après un vote du congrès, mais un problème demeure : obtenir les droits nécessaires et sécuriser l’acquisition des 80 kilomètres nécessaires pour le tracée.
A cette époque, le Panama n’est pas encore un pays indépendant mais une région rattachée à la Colombie. Les intérêts américains grandissant coïncident avec une intensification des revendications indépendantistes panaméennes. C’est dans ce contexte que les Etats-Unis, alors présidés par Théodore Roosevelt parviennent à réaliser un incroyable coup politique. Ils décident de soutenir, en échange de l’obtention des droits de reprendre les travaux abandonnés par les Français et de la concession du terrain, la sécession panaméenne. Le 3 novembre 1903, le Panama déclare son indépendance de la Colombie, qui sous la pression américaine, renonce à une riposte militaire. Moins de 2 semaines plus tard, les Américains obtiennent l’octroi d’une zone suivant le tracé initié par les Français, ainsi que les droits permanents de la future exploitation du canal. Le Panama se retrouve coupé en deux par un bandeau de 87 kilomètres de long et 500 mètres de large, qui devient légalement territoire américain.
le tracé et le dénivelé du canal de Panama, crédit carte: wikipédia.org

Le chantier redémarre dés 1904 et est confié au corps des ingénieurs de l’armée américaine. Ils commencent par rendre salubre la zone en s’employant à éradiquer les moustiques et éviter au maximum les eaux stagnantes. Durant les 10 ans que le projet est resté en suspend, de nombreux progrès techniques ont été réalisés, et les Américains bénéficient de machines de terrassement beaucoup plus efficaces que celles dont disposaient les Français. Les choix techniques faits antérieurement sont intégralement revus, et la décision de mettre en place un système à 3 écluses et de creuser un immense bassin artificiel est prise. Le chantier du plus grand lac artificiel du monde, le lac Gatun est lancé. Il culminera à 26 mètres d’altitude, couvrira une superficie de 425 km2 et alimentera en eau, par gravité, le système d’écluses. Il permettra aussi le croisement des navires à l’intérieur du canal et réduira de moitié les travaux de terrassement qui aurait été nécessaires pour la mise en place d’un système de canal au niveau de la mer.
Dix ans plus tard, les Océans Pacifique et Atlantique sont reliés et le Canal de Panama est inauguré le 15 aout 1914, lors de la première traversé officielle par le navire Ancon, un mois tout juste avant que ne soit déclarée le début de la Première Guerre Mondiale. Le projet aura couté aux Etats-Unis 375 millions de dollars de l’époque, soit prés de 8,5 milliards de dollars actuels. Il est à ce jour le plus grand projet d’ingénierie jamais mené par les USA.
Après la fin de la construction du canal et en accord avec les accords signés avec le Panama en 1903, son administration est intégralement assurée par les Américains. La Zona Canal, officiellement territoire américain, est protégée par les forces armées américaines, et physiquement isolée du reste du Panama par un système de barrières et de barbelés. Le Canal est quand à lui intégralement administré et opérés par les Etats-Unis.
Dans les années 60, la crise du canal de Suez en Egypte, et le soutien des Etats-Unis à Nasser lors de son bras de fer avec l’Angleterre et la France, réveille les aspirations panaméennes à une rétrocession du canal. Une manifestation d’étudiants panaméens, qui tentent de pénétrer dans la Zona Canal dégénère. Les Marines ouvrent le feu et tuent 20 manifestants. En 1977 soit 13 ans après ces évènements, le Président US Jimmy Carter et son homologue Panaméen Omar Trurrijos signent, après de longues négociations, un accord historique ouvrant la voie à  la rétrocession du canal  au Panama. La date est fixée au 31 Décembre 1999.
Alors que le monde entre dans le XXIème siècle, la fête pour accueillir l’an 2000 prend une connotation particulière au Panama. Les Américains se retirent de la Zona Canal et la Panama Canal Autority (ACP), une agence  intégralement contrôlée par l’Etat Panaméen, mais financement indépendante, voit le jour. Elle prend en charge la gestion complètes des opérations.
Après avoir été opéré pendant 86 ans sans objectif commercial, le gouvernement du Panama décide d’utiliser les revenus du canal comme un vecteur de développement national, et intègre la rentabilité financière dans les missions dont est en charge l’ACP. Les craintes internationales initiales, quand aux bouleversements que risquaient d’entrainer la passation de contrôle aux Panaméens sont vite dispersées. L’ACP démontre son efficacité en réduisant significativement le temps de traversé des navires ainsi que les accidents d’exploitation dès ses premières années en charge des opérations.
Un céréalier traversant la dernières chambre d’écluse de Miraflores avant d’entrer dans le bassin de Pedro Miguel

Les droits à acquitter pour pouvoir traverser dépendent aujourd’hui du type et du tonnage du navire. Pour un bateau de plaisance, la somme oscille autour de 1000 dollars. Les plus gros portes containers qui transitent à travers le canal, les Panamax, doivent s’acquitter de 400 000 dollars par traversée. Une moyenne de 14 000 navires traversent chaque année le canal, et rapportent à l’Etat Panaméen près de 3 milliards de dollars par an.
les portes des écluses de Miraflores, qui remontent à 1914. Plus intéressant encore, la largeur des chambres… étroites non?

Le canal de Panama utilisent toujours les même écluses (portes d’écluse incluses) que celles qui existaient à son inauguration en 1914. La pertinence du design de cet incroyable chef d’œuvre d’ingénierie a été largement démontrée, puisque l’intégralité des systèmes mécaniques en place sont d’origine et remonte à son inauguration en 1914.
Les limitations qui commencent à affecter le canal de Panama ne relèvent pas de sa conception, mais de l’augmentation spectaculaire de la dimension des bateaux commerciaux. La taille des écluses actuelles devient aujourd’hui limitante, et certains navires récents n’ont pas d’autre choix que de contourner le continent américain, leur taille ne leur permettant pas d’emprunter les écluses. Dans ce contexte et afin d’assurer la pérennité et la rentabilité future de l’ouvrage, un référendum a eu lieu en 2006. Les Panaméens avaient à se prononcer sur le lancement d’un gigantesque projet d’agrandissement du canal, et de construction de 3 nouveaux jeux d’écluses, 40% plus larges et 66% plus longues que celles existantes actuellement. Le oui l’a emporté à 80%, et ce projet de 5,25 milliards de dollars, intégralement financé par l’Etat Panaméen, a été lancé en 2009 et devrait être livré en 2014.
chantier de construction d’un des nouveaux jeux d’écluse

Les écluses en place resteront opérationnelles et les nouveaux jeux d’écluses viendront s’ajouter à ceux existants, permettant la traversée de bateaux beaucoup plus gros, mais augmentant aussi le traffic absorbables en permettant la traversé simultanée de 4 bateaux par jeux d’écluses, contre 2 à actuellement.
La construction du Canal de Panama à travers quelques chiffres

  • mètres cubes de terre extraits : 210 millions de m3 ( 60 millions par les Français + 150 millions par les Américains)
  • quantité d’explosifs utilisés durant la construction : 30 000 tonnes
  • coût total du projet : 375 millions de dollars soit 8,6 milliard de dollars actuels
  • nombre d’ouvriers morts durant la construction : 27 000 (20 000 sous les Français + 6000 sous les Américains)
  • temps de construction du canal : 18 ans (8 ans pour les Français + 10 ans pour les Américains)

Aujourd’hui, le Canal de Panama, c’est:

  • longueur totale : 80 km
  • temps de traversée moyen d’un bateau d’un océan à l’autre : 9 heures
  • nombre de chambres d’écluse à traverser pour relier un océan à l’autre : 6 chambres
  • nombre de litres d’eau nécessaire pour remplir une chambre d’écluse actuelle : 100 millions de litres
  • taille maximal des bateaux pouvant actuellement traverser le canal (bateau de type Panamax) : 294,1m x 32,3m
  • taille actuelle des chambres d’écluses : 304,8m x 33,5m (ce qui laisse 60 cm de chaque cotés lorsqu’un Panamax traverse une écluse)
  • poids de chaque porte d’écluse : 730 tonnes (300 éléphants ou encore 600 voitures berlines)
  • nombre de bateaux traversant chaque année : 14 000 navires
  • prix moyen payé par un bateau traversant le canal : 270 000 dollars
  • tonnage de marchandises transitant chaque année par le canal: 300 millions de tonnes (5% du  fret mondial transportés, tout moyen de transport confondu)

Alors que j’étais sur place, je n’ai évidemment pas pu résister à l’envie de voir de mes yeux ce canal mythique. C’est aux écluses de Miraflores que je me suis rendu pour observer les monstres des mer, traversé à travers les 2 jeux d’écluses situées sur place. Un constat, la taille des Panamax est extrêmement impressionnante, mais surtout, la précision avec laquelle les bateaux doivent être guidés dans les chambres d’écluses ahurissantes. Il reste 60 centimètres de chaque côté de la coque une fois le navire positionné. Alors que je regardais traverser un porte containers,  je me suis aussi rendu compte de la place central qu’à jouer et que continue de jouer ce cordon entre les océans, dans la mondialisation des échanges internationaux.
Et pour vivre le passage d’un porte container Panamax comme si vous y étiez, une petite vidéo filmée depuis la plateforme d’observation des écluses de Miraflores.

[vimeo 50908712]

Et zou quelques photos de ce célèbre canal et de son jeux d’écluse le plus célèbre: les Locks de Miraflores.

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3 Comments

  1. Impressionnant ; je garde et partage !!!
    🙂

  2. Technologie quand tu nous tiens!

  3. Technologie quand tu nous tiens!

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