19 janvier 2012, 14h17: ca y est, après 16 mois sur les routes, j’arrive enfin au bout du monde! C’est avec deux autostoppeurs ramassés un peu plus tôt au nord sur la route, que je franchis les panneaux d’entrée d’Ushuaia.
J’ai entendu beaucoup de choses sur cette ville, beaucoup de commentaires de personnes déçues par le peu d’activités que la ville propose et ses attraits limités comparés à la Patagonie. C’est un fait, Ushuaia dispose de peu de trésors cachés; l’essentiel de l’activité s’articule pourtant autour du tourisme, bien que les parcs nationaux avoisinant ne peuvent en aucun cas rivaliser avec leurs grands frères patagoniens, et la visite des quelques musées de la ville est intéressante mais ne satisfait pas ceux qui ont fait 5 heures d’avion pour venir jusqu’ici depuis Buenos Aires.

Pour corser encore plus le tout, les prix sur place sont ridiculement élevés pour l’Argentine, et le fait que la Terre de Feu soit une zone franche, donc sans TVA n’y change rien. Pourtant  je suis incroyablement heureux d’arriver ici, et ma joie ne s’évapore pas après une semaine passée sur place. Chaque matin c’est toujours avec le même enthousiasme que je me lève et regarde le canal de Beagles par la fenêtre du grenier qui me sert de chambre.
Mais comment expliquer que mes impressions soient si différentes de celles de la majorité des touristes qui passent ici? Peut être parce que je ne suis rien venu chercher ici d’autre qu’un mythe. Ushuaia avant d’être un lieu où l’on vient faire du trekking où de la villégiature, c’est avant tout la ville la plus australe du monde. C’est aussi un point important de mon voyage: le terminus à l’extrémité Sud du continent américain, suivi d’un demi-tour obligé avant une ultime ligne droite jusqu’à New York.

L’autre raison qui rend Ushuaia tellement spéciale à mes yeux, c’est que contrairement à l’immense majorité des touristes ici, je suis arrivé au bout du monde par la route. La satisfaction d’avoir parcouru tout ce chemin est indissociable de ma joie d’être ici. Lorsque je contemple le canal de Beagles et les montagnes qui entourent la ville, je me revois deux ans plus tôt préparer mon itinéraire sur ma carte du monde, et tracer les lignes dece qui allait plus tard devenir mon itinéraire. Arriver jusqu’à Ushuaia n’a pas été aussi simple que d’embarquer dans un vol long courrier, cela m’a demandé du temps et de l’énergie: cela m’a pris 43000 kilomètres de route pour arriver là, et je savoure chaque minutes passées sur place.

Et puis ce qui contribue encore d’avantage à ma perception très positive de la ville, c’est que j’ai la chance d’avoir trouvé Chiara, une Argentine qui a grandi sur place et qui m’héberge. Une fois de plus l’incroyable communauté couch surfing, que je ne me lasserai pas de promouvoir, rend mon expérience unique. Voir et comprendre la ville à travers les yeux d’une locale est fascinant d’autant que l’histoire de la ville vaut le détour.

La Terre de Feu où se trouve la ville d’Ushuaia est peuplée depuis plus de 10 000 ans par les indiens Yámana. Le nom de cette immense ile au Sud du continent américain a été donné par Magellan lors de son expédition de 1520 lorsque découvrant le canal qui porte désormais son nom, lui et ses hommes observent au loin sur de nombreux feux sur les cotes septentrionales de l’ile. Près 300 ans plus tard le capitaine Fitz Roy commandant le navire HMS Beagles avec à son bord le célèbre Charles Darwin, cartographie la partie Sud de l’ile où se trouve Ushuaia.
Quelques décennies plus tard, des missionnaires s’installent sur place et se lancent dans la conversion des autochtones. Ils sont rapidement rejoints par des pionniers qui se précipitent dans le grand Sud après que des rumeurs sur la présence d’or en grande quantité soient arrivées jusqu’en l’Europe. Les rumeurs se dissipent dès que les premières recherches sérieuses sont faites, mais les orpailleurs ont amené en plus de leurs tamis une multitudes de maladies contre lesquelles les Yamanas ne sont pas immunisés. A l’orée du XX siècle la plupart des habitants originaux de l’ile sont morts décimés par des épidémies. Les chercheurs d’or se  reconvertissent dans l’élevage de moutons et de bétail qu’ils élèvent sur d’immenses estancias qui sont données par l’état argentin pour aider l’établissement d’une colonie permanente dans ces terres inhospitalières. Les terrains sont cédés gratuitement par le gouvernement argentin qui en profite pour peupler ces terres isolées et renforcer sa souveraineté sur ce territoire.

En 1896, les Argentins, s’inspirant des bagnes britanniques d’Australie et français de Nouvelles Calédonie, créent la prison d’état d’Ushuaia. Les détenus les plus dangereux du pays y sont transférés et sont forcés de manier pelles et pioches pour développer à moindre cout les infrastructures sur place. Plusieurs dizaines d’années plus tard, elles permettent le développement d’une ville. Le bagne fonctionne jusqu’en 1947 où il est finalement fermé, mais les autorités argentines sont alors confrontées à un autre problème: les visées territoriales du Chili sur la Terre de Feu.

uniforme de tolard, molletonné s’il vous plait


Les anciens prisonniers ainsi que les matons sont poussés à s’installer sur place et une base militaire navale est construite. La population passe de 300 âmes en 1900 (des condamnés minus  quelques matons ici pour les surveiller), à  4470 en 1960. La promulgation de nouvelles mesures fiscales (suppression des impôts pour les particuliers et les entreprises ainsi que de la TVA), fait encore augmenter le nombre d’habitants de 10 000 en 1977 à 30000 en 1991. Diverses industries s’installent sur place, attirées par l’absence de taxes, proposant à leur tour des salaires très attractifs pour attirer la main d’oeuvre.

Parallèlement, le mythe de la ville du bout du monde tourne à plein régime et le tourisme se développe. En 2010 c’est près de 275 000 personnes qui visitent la ville (chiffre qui n’inclut pas les bateaux de croisière), tandis que la population permanente de la ville s’élève à 60 000 âmes.

Ushuaia peut facilement être confondue avec un ghetto touristique, mais elle n’en reste pas moins impressionnante. Le fait de me retrouver en tête à tête avec le canal de Beagles, celui-là même que Darwin a remonté en 1833 tout en finalisant sa théorie sur l’évolution m’a ému. J’ai adoré Ushuaia et je me suis levé chacun des 6 jours que j’étais sur place avec la même excitation, celle d’ouvrir un oeil et de regarder plein Sud le bout du Monde depuis la fenêtre ronde du grenier où je passais mes nuits.

Chiara mon hôte m’a aussi permis de découvrir les lieux incontournables des environs. Le glacier Martial, l’estancia tunnel et bien sur l’incontournable pub Dublin.

Mais il y a eu quelque chose d’autre que je n’ai pas réussi à m’enlever de la tête lorsque durant la semaine que j’ai passée sur place. Je suis au bout du monde… mais qu’est ce que cela veut dire au juste? Quelque chose me dit que je peux certainement aller encore plus au sud.

J’ai tourné pendant pas mal de temps ce problème dans ma tête, et juste avant qu’il ne tourne à l’obsession, j’ai fini par trouver une solution: et si j’allais voir ce qu’il y a plus au Sud!
3 jours d’intenses recherches, d’entrées illégales sur le port, de longues discussions avec des capitaines et j’en passe… la solution est trouvée : j’embarque dans 4 jours pour l’Antarctique. Alors maintenant vous me croyez : There is No Limit but the Sky.

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13 Comments

  1. ES TU CERTAIN QU’ IL N’ Y A PLUS D’ OR ??
    PEUT ÊTRE ONT ILS MAL CHERCHÉ ??? RÉSERVE MOI UNE CHAMBRE
    CONFORTABLE …
    J’ ARRIVE !!!!!!!!!

    1. Si tu veux venir t’installer dans une terre battue par les feux, où il fait 5 en été et où personne n’habite à part des vigognes pour vérifier, you are welcome!

  2. BeauGosse, tu as des yeux extraordinaires qui font vibrer nature et gens sur lesquels ils se posent.

  3. La ville la plus australe… Ushuaia est clairement mythique, elle porte un nom doux a l’oreille et on s’imagine même une odeur envoutante de fruits exotiques (bon c’est vrai la TV m’influence entre les pubs de gel douche et les émissions de notre ami Hulot)!

    1. Clairement trop influencée par la tété. A 6 degrés de moyenne de température annuelle, faudra repasser pour les fruits exotiques…

  4. oui c’est exactement pourquoi j’ai adoré Ushuaia!! on a le sentiment d’être au bout du monde après avoir avalé tous ces milliers de kilomètres, et ça c’est incroyable! c’est pour ça qu’il ne faut surtout pas aller là-bas en avion! c’est comme gacher un mythe! ça serait comme si on grimpait au somment du Mont Blanc en télé-siège… Contente d’avoir réussi le “coaching on line” de comment rentrer illégalement sur le port d’Ushuaia!! 🙂 tu t’es bien débrouillé!! hâte de lire maintenant tes récits d’antarctique! moi j’y retournerai un jour, ça c’est sûr! ça reste un des moments les plus exceptionnels de mon voyage!

  5. oui c’est exactement pourquoi j’ai adoré Ushuaia!! on a le sentiment d’être au bout du monde après avoir avalé tous ces milliers de kilomètres, et ça c’est incroyable! c’est pour ça qu’il ne faut surtout pas aller là-bas en avion! c’est comme gacher un mythe! ça serait comme si on grimpait au somment du Mont Blanc en télé-siège… Contente d’avoir réussi le “coaching on line” de comment rentrer illégalement sur le port d’Ushuaia!! 🙂 tu t’es bien débrouillé!! hâte de lire maintenant tes récits d’antarctique! moi j’y retournerai un jour, ça c’est sûr! ça reste un des moments les plus exceptionnels de mon voyage!

  6. J’avais une image d’Epinal d’Ushuaia comme tout à chacun. La Patagonie est peut-être un peu plus exotique, mais il semble que finalement avec l’aide du guide local, vous avez pu vivre une expérience réelle et authentique.

    1. Effectivement la plupart des gens qui n’y sont jamais allés imaginent Ushuaia comme un petit village de pionniers. Ce n’est plus vraiment le cas puisque c’est maintenant une ville de 60 000 habitants. La Patagonie est clairement plus isolée et difficile d’accès même si la aussi, les routes bitumées (au moins côté argentin), facilite l’accès à plus de touristes. Mais même si le nombre de personnes qui s’aventurent à traverser la Patagonie par la terre augmente, nous sommes encore loin du tourisme de masse. Pour ce qui est du guide locale, c’est la magie du couchsurfing qui a une fois de plus opérée 🙂

  7. Bonjour,
    Ma fille va partir dans un mois faire un périple de NYC à Ushuaia, un peu comme vous. Ce serait super intéressant qu’elle puisse rentrer en contact avec vous, pour avoir des filons, des indications, des points de repères des endroits à aller et à ne pas aller, etc….
    D’avance, merci de me contacter.
    Isabelle Leonet

    1. Hello,
      Je crois que votre fille m’a contacté aujourd’hui même par mail. Je ne vais pas manquer de lui répondre 😉

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