Après ma sympathique croisière de 5 jours, qui m’a permis de rejoindre l’Amérique du Sud à l’Amérique Centrale, j’arrive à Panama City. Les seules images que j’avais vues de cette ville, étaient celles de la Saison 3 de Prison Break. Alors que Michael Scolfield était, pour changer, enfermé dans une prison de haute sécurité, son frère essayait de l’en faire sortir, affrontant au passage les dangers d’une ville centrale américaine présentée comme hostile. Grosse production hollywoodienne oblige, les spectateurs avions eu droit à des contre plongées filmées par hélico, et des vues d’ensemble de la ville, qui alternaient entre grattes ciel vertigineux et favelas miteuses.
Une série à grand public n’est pas la source la plus objective d’informations pour se faire une idée sur une ville, et encore moins lorsque la série est nord américaine et la ville où se passe l’action centrale américaine. Je décide donc avant d’arriver sur place de vider ma tête de tout ce que j’ai pu voir sur Panama City afin de me faire ma propre idée.
Sur place, c’est d’abord un gros choc. Alors que je viens de quitter le superbe archipel des San Blas, ces 365 îles reculées et peuplées par les indiens Kuna, j’entre après moins de 2 heures de route dans une immense mégalopole où les grattes ciel se suivent et se ressemblent. S’il n’y avait pas des passants qui parlent espagnol dans les rues, et quelques chicken bus qui déferlent à toute vitesse, j’aurai pu croire que j’étais arrivé à Miami avec un peu d’avance.

exemple de créativité architecturale: la tour tire bouchon…


Une fois n’est pas coutume, couchsurfing, béni soit-il, m’offre de vivre au rythme des locaux. Je suis accueilli pendant une semaine par la charmante Catalina, une colombienne qui vit sur place depuis quelques années. En plus de son hospitalité et de son sourire permanent, elle prend soin de moi en me faisant la cuisine, et me convainc facilement d’étendre de 2 jours à une semaine le temps que j’ai prévu de rester sur place.
Je me lance alors dans la découverte de Panama City et tente d’en percer les mystères. J’arpente ses rues et découvre que malgré certaines ressemblances, Panama City n’est pas Miami, et encore moins Dubaï.

Au départ j’aurais pu me laisser piéger : gigantesques buildings, innombrables banques, sièges des fonds d’investissement et des compagnies d’assurance les plus célèbres de la planète… j’aurais naïvement pu croire que les Panaméens avaient récemment toucher le gros lots et que les zélés financiers étaient là pour les aider à placer leur deniers. Mais en continuant à marcher nez au vent, j’atterris un soir au beau milieu d’un quartier très défavorisé. Il ne fait pas figure d’exception, et en regardant par le balcon de l’appartement de Catalina, je m’aperçois qu’au pied de la tour de 50 étages où elle habite, un grand bidonville s’étend sur des centaines de mètres. Les matins, alors que nous passons sur l’autopont du périphérique, j’aperçois un gamin et son père qui y vivent, jeter un filet de pêche dans un étang insalubre en contrebas.

La réalité est donc beaucoup plus contrastée, et malgré un niveau de vie correcte pour la région, la moyenne des panaméens ne vit pas dans l’opulence. Le Panama partage avant tout avec Dubaï les tours et le soleil.
Pourquoi alors toutes ces sociétés financières sont-elles installées sur place ? Et bien tout simplement pour faire de substantielles économies d’impôt. Avec d’immenses facilités faites pour que les entreprises étrangères s’installent sur place, une exonération totale d’impôt sur les sociétés pour tous les revenus de source externes au Panama (bénéfices réalisés à l’étranger), et un taux d’imposition de 25% pour les autres revenus locaux, il est tentant de faire un tour de passe-passe avec son siège social, et c’est ce que beaucoup de multinationales ont choisi de faire en venant s’installer dans cette accueillante République Centrale Américaine. Ne dites surtout pas à ces grands groupes qu’ils font de l’exil fiscal, leurs communicants ne le supporteraient pas : eux, c’est de l’optimisation fiscale qu’ils font.

Ce qui est amusant avec « l’optimisation fiscale », c’est que cela conduit à des situations absurdes. Plusieurs sociétés européennes se retrouvent par exemple avec leur siège social pour les Amériques (comprendre Amérique du Sud, Amérique Centrale et Amérique du Nord, USA inclus) à Panama City, alors même que leurs bureaux sur place ne comptent guère plus qu’une vingtaine d’employés, et qu’ils n’ont aucune activité sur place. L’exemple qui parlera le plus aux Français est Total, qui est fièrement installé avec 20 employés dans de jolis bureaux qu’il partage avec Nike et BMW et CityBank.

L’installation de multinationales et de leur cortège d’expatriés a contribué à modifier le visage de la capitale. Plusieurs énormes malls ont ainsi récemment vu le jour, et de grandes chaines de restaurants et d’hotels se sont implantées tambour battant dans la capitale (dont un gigantesque Hard Rock Hotel de 1460 chambres).
Le nombre d’expats augmente de façon exponentielle, et pour continuer d’attirer les capitaux étrangers, le gouvernement essaie désormais d’attirer sur place les retraités et leurs économies. Afin de convaincre ces papys et mamys, une ambitieuse campagne de promotions des ressources naturelles du pays a été lancée. L’objectif est de pouvoir rapidement vendre le Panama comme la destination green et fashion, suivant ainsi l’exemple du voisin costaricain.
Pour compléter ses politiques de développement économique, le Panama peut aussi compter sur les rentrées d’argent générées par le canal de Panama, qui depuis 1999 et sa cession par les USA, joue un rôle important dans l’économie du pays.

Mais malgré un PIB à prés de 13 000 dollars par habitant, soit le plus haut d’Amérique Central, 40% de la population continue de vivre en dessous du seuil de pauvreté. L’arrivée sur place de sièges sociaux et de nombreux expatriés ne semblent pas profiter aux panaméens moyens, et m’a donné l’impression de profondément dénaturer la culture du pays. Les facilités données aux étrangers pour venir s’installer sur place m’ont aussi paru à double tranchant. Certes elles permettent d’importantes rentrées de capitales dans le pays, mais elles tirent inéluctablement le coût de la vie vers le haut, rendant la situation encore plus difficile pour les plus pauvres. L’autre risque de cette politique, dont j’ai eu une illustration dans le Nord du pays, est la partie de plus en plus importantes des terrains aux mains d’étrangers. Dans la zone caféière, j’ai ainsi été frappé par le nombre de terrains et plus encore de fincas (propriétés agricoles) désormais aux mains d’investisseurs américains.

La politique panaméenne est compréhensible, mais sera-t-elle pérenne sur le long terme? Rendez-vous dans 30 ans…

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12 Comments

  1. C’est super bien ce que tu écrit : j’ai l’impression de connaitre cette ville, que je ne connais pas !
    As tu penser à faire un livre ?
    Bravo pour le diaporama !
    🙂

    1. @Roland: merci beaucoup pour ces encouragements. Je n’ai pas pensé à écrire un livre non, mais tu n’es pas le premier à me poser la question, donc je vais peut-être finir par y réfléchir…
      Pour le diaporama, merci aussi… peut-être le mieux serait que je fasse un livre de photos 🙂

  2. L’optimisation fiscale… interessant – on aurait penser aux caraibes, a la Suisse mais pas au Panama!

    1. @Flo: je crois que l’unique raison qui fait que tu n’y ais pas pensé est que tu n’as pas encore assez à optimiser, car en tant qu’ancien “banquier”, je t’assure que le Panama est l’une des premières destinations à laquelle on pense. Mais je suis sûr que dans un futur proche, tu auras toi aussi assez pour investir dans ce paradis… fiscal 🙂

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