Après avoir traversé la frontière et passé quelques jours à Tupiza, une petite ville bolivienne calme et centrée autour de son marché, j’ai repris la route, où plutôt  la piste, pour rejoindre la ville d’Uyuni. Uyuni se situe sur les altiplanos andins, ces fameuses plaines immenses qui culminent à 4000 mètres d’altitude.

La ville n’a en elle-même rien de très particulier à offrir. Les voitures slaloment entre les poubelles qui jonchent la quasi totalité de ses rues poussiéreuses, la pauvreté y est  encore plus visible qu’ailleurs dans le pays, avec de nombreux vieillards qui passent de poubelle en poubelle dans l’espoir de récupérer quelque chose à manger… bref, pas ce qu’on fait de plus glamour.

Cholita marchant dans les rues de Uyuni


L’ambiance ghetto qui se dégage de la ville est d’autant plus curieuse, que la quasi totalité des touristes qui passent en Bolivie se rendent pourtant dans cette ville. Pas pour les poubelles au milieu de la chaussée bien sûr, mais pour une singularité géologique qui se trouve à 25 kilomètres au Nord Ouest: le salar d’Uyuni, le plus vaste lac de sel du monde qui s’étend sur une superficie de 10 582 km2 (100 x 100 km).
Ce salar s’est formé dans une cuvette naturelle où l’eau s’accumule mais ne peut s’évacuer car il n’est relié à aucun ruisseau ou rivière. Toute l’eau qui s’accumule sur le lac au cours de la saison des pluies ne s’en retire que grâce à l’évaporation. Durant le processus, l’H2O disparait sous forme de vapeur d’eau, mais les sels minéraux dont elle est chargée restent eux dans la cuvette. Après quelques milliers d’années, les sels minéraux finissent par former une couche blanche épaisse qui recouvre le bassin parfois sur plusieurs mètres de haut par endroits. Cette couche blanchâtre est riche en sodium bien sur, mais aussi en beaucoup d’autres composés dont le fameux lithium, utilisé dans la fabrication des batteries d’appareils électroniques, et que l’on ne trouve qu’ici.
Si les touristes se bousculent pour admirer ce salar, c’est avant tout pour les spectacles incroyablement photogéniques qu’il offre. Sa taille est telle qu’après avoir parcouru une dizaine de kilomètres vers son centre, on perd tous ses repères et seule demeure l’impression d’être perdu au milieu d’une gigantesque étendue blanche sans fin.

perte de repères et perspectives


Pour la même raison; les jeux de perspective auxquels on peut s’adonner sur place sont sans limites, et les réflexions sur la surface du lac couverte d’une  pellicule d’eau sont elles aussi une singularité du lieu dont on ne se lasse pas: la couche de sel blanche immaculée se comporte comme un miroir gigantesque.

No limit but the sky?


Arrivé sur place en Chérie Moya, je choisis de traverser le salar en solo, à la recherche d’un bon coin pour faire des photos – comprendre un bon coin recouvert d’eau pour m’amuser avec le jeu des reflets. J’ai beau avoir un peu d’expérience en milieu hostile, je décide de jouer la carte de la prudence, les erreurs ne pardonnant pas. Le lieu est isolé et rares sont les personnes, y compris les locaux à s’aventurer loin des berges du salar. Certaines de ces zones ne voient en cette saison que quelques visiteurs par semaines, voire par mois. L’autre difficulté du lieu provient de la haute concentration en sel contenue dans l’eau, qui devient de ce fait très fortement conductrice de courant et peut provoquer des courts circuits sur le systèmes électriques des véhicules. C’est le plus gros risque sur place: imaginez-vous au milieu du salar avec un alternateur grillé?
La plupart des touristes se rendent sur place à bord de gros 4×4 par l’intermédiaire de tours opérators. L’avantage est qu’ils n’ont à se soucier de rien, le souci est que les alignées des 4×4 se suivent tous en file indienne dans la partie est du salar, la seul les agences touristiques s’aventurent à moins de 20km de l’entrée principale du salar.Cet entassement touristique est un peu dommage quand on considère l’incroyable étendue du site, mais la prudence, voire la quasi paranoïa des agences, couplée à des raisons d’économie provoquent des files insensées de touristes qui attendent tous leur tour pour immortaliser leur présence sur place.
Je fais le choix, au risque de déplaire à Chérie Moya, de m’aventurer par moi-même sur place. Le réceptionniste de mon hôtel à Uyuni me prend pour un semi-dément (ce qui me laisse quand même une bonne moitié, comme dirait Mélenchon). Il me met en garde contre les nombreux dangers, l’isolement du lieu… et blablabla. Des overlanders que j’avais rencontrés m’avaient confirmé qu’il était parfaitement possible de se rendre sur place par ses propres moyens, ma détermination était donc sans faille. Parti à 7 heures, je passe un checkpoint militaire à quelques kilomètres de l’entrée du salar. Après avoir vérifié mes papiers et fait un grand discours pour me décourager de me lancer dans cette aventure, l’officier fini par m’ouvrir la barrière alors que je lui sers  la main et lui fixe rendez-vous pour le lendemain.

checkpoint contrôlant l’entrée du salar… roots comme on dit


Comme on m’avait prévenu, la partie la plus risquée est l’entrée sur le lac de sel; ses contours sont recouverts d’eau et du fait de l’intense luminosité et du blanc immaculé sur sa surface, il est extrêmement difficile de juger de la profondeur et de la stabilité du sol. L’autre danger est la concentration en sel extrêmement élevée de l’eau, qui la rend conductrice d’électricité. Il faut donc rouler particulièrement lentement lorsque l’on se trouve sur les parties humides pour éviter que des projections d’eau ne s’infiltrent dans le système électrique du véhicule et le court-circuite. Le troisième et dernier risque inhérent à une expédition sur place est celui de se perdre: à partir d’une dizaine de kilomètres à l’intérieur du salar, tout repère visuel disparait et seul reste à l’horizon une étendue blanche et infinie. Deux solutions existent: ne pas aller au delà de cette dizaine de kilomètres: c’est ce que font la majorité des tours opérators; un peu triste car 90% des touristes s’entassent alors au même endroit. L’autre solution, c’est de naviguer au GPS et/ou à la boussole. C’est ce que j’ai choisi de faire et j’ai ressorti mon GPS Garmin du fond de mon sac pour l’occasion. J’ai aussi pris le soin d’entrer les coordonnées utiles comme les 3 points où l’entrée et la sortie du salar peuvent s’effectuer sans risque, le positionnement d’un l’hotel de sel au centre du lac, et histoire de jouer les Petit Poucet des temps modernes, j’ai aussi activé l’enregistrement automatique de ma trace histoire de pouvoir revenir sur mes pas en cas de souci. Fidèle à mes habitudes je trimballe aussi bouffe et eau pour tenir 3 jours, on est jamais trop prudent…
Une fois ces quelques précautions prises, et l’entrée sur le salar effectuée, conduire sur place ne présente aucune difficulté. Tout est plat, si plat que les pilotes de concept car viennent parfois sur place pour battre des records de vitesse à bord de leurs engins. Le lac est si plat que j’ai même autoriser  Chérie Moya à se promener seule quelques instants…

Le spectacle est superbe, le blanc pur et infini donne l’impression d’avoir quitté la réalité terrestre. Je m’amuse pendant des heures avec mon appareil photo, prenant des photos très classiques mais si drôles de jeu de perspective. Je suis confronté à un problème: seul ce n’est pas si facile de prendre la bonne position qui permet de faire croire que je tiens ma voiture dans la main. Au bout de 2 heures, je renonce àla photo parfaite, et fais demi tour en direction des berges du salar, pour m’amuser avec les réflexions sur l’eau. En route je croise deux 4×4 que je dépasse… avant de faire demi-tour. La déception d’être venu ici sans avoir pu prendre ma photo souvenir idiote me chagrine. C’est un peu comme aller à Agra et ne pas prendre de photo en face du Taj, celle que tout le monde connait, mais qu’on est quand même si fier de montrer à ses amis…
Je reviens sur mes pas demander à quelqu’un du groupe du prendre la photo pour moi. J’essaie de choisir la personnequi me parait être le plus à même de réussir, et c’est ainsi que je demande à une jeune asiatique. C’est bien connu, les asiatiques prennent de bonnes photos non? Alors que je lui passe mon appareil, je lui explique brièvement comment il fonctionne avant qu’elle me réponde sèchement: “I know!”
5 photos plus tard, je constate qu’elle “knows” vraiment bien comment manier un reflex. Le résultat est plus que cool et je m’apprête à repartir heureux lorsque que la même miss me demande:
“Mais tu es venu seul sur le salar? c’est dangereux tu sais? où vas-tu là?”
Mon premier sentiment est de lui répondre:
“Non mais de quoi tu te mêles?”

Et puis au vu de la qualité des photos qu’elle a prises, je me tempère et lui répond que je suis à la recherche désespérée de zones avec de l’eau pour prendre des photos de réflexion. Elle sourit et m’explique qu’en plus d’être japonaise et douée en photo, elle est avant tout guide touristique spécialisée dans les séjours pour  asiatiques fans de photos. Comble du hasard, elle me dit que son groupe s’apprête justementà se rendre dans une zone inondée pour admirer le coucher du soleil. Elle me propose de les accompagner en m’expliquant qu’il est plus prudent de se déplacer dans ces zones en convoi de plusieurs véhicules. La chance semble me sourire aujourd’hui, aussi j’accepte promptement la proposition et me joins à un groupe de trois énormes 4×4. Nous roulons une dizaine de kilomètres plein nord avant de rencontrer les premières zones inondées. Nous ralentissons l’allure et continuons encore quelques kilomètres avant de nous retrouvés complètement entourés par l’eau.

A partir de là, je ne peux rien ajouter de plus sauf que le spectacle fut exceptionnel. J’assiste à l’un des plus beau coucher de soleil de ma vie: je dis un coucher de soleil mais je devrais dire deux, puisque grâce aux réflexions que le salar inondé offre, j’assiste émerveillé à un double coucher de soleil aux couleurs suréalistes. Inutile de décrire d’avantage la scène avec des mots, mieux vaut ici vous publier deux photos
 

un coucher de soleil jumeau sur le salar d’Uyuni


et le second cliché pris quelques minutes plus tard, alors que le soleil venait juste de disparaitre totalement à l’horizon

quelques minutes plus tard, alors que le soleil vient de disparaitre à l’horizon

Et petits veinards une vidéo pour faire comme si vous y étiez…

Après cet exceptionnel spectacle et alors que le groupe que j’avais rejoint s’apprête à faire demi-tour, je surprends une nouvelle fois l’assistance en leur expliquant que je ne vais moi pas ressortir du salar et que je vais passer la nuit au milieu à dormir dans le coffre de ma voiture. Les deux chauffeurs et la guide me regardent sceptiques mais finissent par accepter ma détermination. Ils me laissent au milieu du désert de sel, alors que je vois les phares des véhicules s’éloigner à l’horizon, les premières étoiles font leur apparition dans le ciel…

une nuit à la très belle étoile…

En bonus je gagne aussi une invitation: celle de la guide qui je le découvre pendant le coucher de soleil, est boliviano-japonaise (je sais je suis un as pour faire des rencontres bizzares…). Elle m’invite à séjourner chez elle lors de mon passage à La Paz.

“Another great day on the other side of the world, and in the middle of nowhere…”

Et bing boom et badaboom, le pêle mêle de cette journée…

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7 Comments

  1. wow the sunset shots are amazing

  2. Mon BeauGosse, tu es un peintre très doué : ces couchers de soleils immaginés, avec des couleurs surréalistes et des reflets incroyables sont tout simplement extraordinaires.
    La fortune au bout des pinceaux !! Quel merveilleux spectacle!
    La fenotte ne connaissait pas cette histoire de lac. Y faut dire qu’à Yon, on peut pas tout savoir. Tiens, j’te la pète encore bien fort.

  3. Les salins du midi n’avaient qu’a bien se tenir…

    1. Hehehehe, les salins du midi a cote d’Uyuni, c’est un peu ma salière 😉

  4. […] des briques dont sont faits les murs. La raison m’est expliquée par Mai, mon hôte sur place (cf article sur Uyuni pour en savoir plus sur Mai): les taxes d’habitation ne sont dues en Bolivie que lorsque la construction du bâtiments […]

  5. Je suis sans voix,, tout simplement magnifique.
    Par contre la vidéo du coucher de soleil est la même que quand tu poursuis “Chérie Moya”,, tu pourrais arranger ça s’il-te-plaît ? Merci 🙂

    1. @Tsiry: oups, effectivement j’avais du avoir de gros doigts sur le copier/coller. C’est maintenant corrigé! Merci beaucoup pour avoir relevé la boulette

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