Sir Ernest Shackelton


Si j’étais Coluche, je commencerais cette histoire comme cela: “C’est l’histoire d’un mec…”

Dans le cas de Shackelton, pardon Sir Ernest Shackelton, je n’oserais jamais l’appeler “mec” de crainte de lui manquer de respect. Son histoire n’a pas grand chose à voir avec mon passage en Antarctique, où je n’ai vu ni l’épave de son bateau, ni même sa tombe. J’ai découvert l’existence de Shackelton quelques semaines avant d’embarquer, alors que je me documentais sur ce continent qui me faisait rêver.

L’ironie a voulu que je lise la biographie de ce capitaine de la marine anglaise, en même temps que l’Europe regardait avec effarement les photos du navire Concordia qui venait de s’échouer sur les côtes italiennes. Je lisais avec fascination l’histoire de ce “Sir” comme seule l’Angleterre peut en fabriquer. Au même moment, les premières photos d’un capitaine italien à la chemise déboutonnée, ayant abandonné son navire entrain de couler avec 4000 personnes à bord, étaient diffusées par tous les médias.

Ernest Henry de son prénom de baptême est né en le 15 février 1874 en Ireland. Il n’est pas un élève passionné par l’école, et il est loin d’être considéré par ses professeurs comme un élève brillant. L’un d’entre eux prononcera d’ailleurs à son égard un verdict sans appel: “pas assez persévérant dans ce qu’il entreprend“.

Il débute des études pour devenir officier de la marine marchande, et à 24 ans, il devient “first mate”, ce qui l’autorise à commander des bateaux battant pavillon anglais aux 4 coins du monde.

En 1901 il accède au grade de troisième officier et embarque à bord de l’expédition “Discovery” en partance pour l’Antarctique, expédition dirigée par  le capitaine Robert Falcon Scott (cf mon dernier article). Après avoir rejoint le continent blanc, Scott choisit deux hommes dont Shackelton pour effectuer une marche en direction du pôle. Les 3 hommes établissent un nouveau record en atteignant la latitude à 82° 17′ S, mais Shackelton rejoint le bateau extrêmement affaibli par des gelures et le scorbut. Le capitaine ordonne son rapatriement en Angleterre sans négociation possible, décision que Shackelton ne pardonnera jamais à Scott.

En 1907, il organise sa propre expédition et établit un nouveau record de latitude Sud en atteignant  88° 23′ S. En cours d’expédition, Shackelton voyant le niveau des provisions diminué dangereusement, prend la décision de faire demi tour alors que lui et ses compagnons se trouvent à moins de 180km du pôle. Ils deviennent les premiers hommes à gravir et traverser le plateau polaire antarctique. La marche du retour se transforme en un combat contre l’épuisement et la faim. Les quatre hommes survivent sur des demi rations et Shackelton s’illustre par son charisme durant cette partie de cache cache avec la mort. Alors qu’ils souffrent tous de la faim, il donne sa ration de la journée à l’un de ses hommes qui est plus affaibli que les autres, et lui ordonne de la manger. Devant son refus, il jette sa ration au loin dans la neige, en lui disant que s’il ne la mange pas, la ration restera là. Plus tard, Frank Wild, le matelot qui finira par céder et manger la part que Shackelton lui a offert, écrira dans son journal: “All the money that was ever minted would not have bought that biscuit and the remembrance of that sacrifice will never leave me”.

Ils parviennent finalement à rejoindre leur bateau et en chemin vers l’Angleterre,  Shackelton écrit à sa fiancé concernant sa décision d’avoir fait demi tour si près du but “a live donkey is better than a dead lion, isn’t it?”.
A son retour, Shackelton qui jouit d’une immense popularité, organise des conférences. C’est un excellent orateur, mais il n’apprécie que modérément l’exercice, et s’y plie pour des raisons financières. L’envie de repartir ne le quitte pas et en 1914, il embarque de nouveau à bord du navire l’Endurance, cette fois-ci pour effectuer une traversée continentale de l’Antarctique, de la mer de Wedell à la mer de Ross, en passant par le pôle Sud.

annonce publiée par Shackleton pour recruter les membres de l’expédition Endurance

Juste avant son départ la première guerre mondiale éclate. Pris de remord, il propose de mettre à la disposition de la marine anglaise son équipage et ses navires, mais le premier lord de l’amirauté, un certain Winston Churchill, refuse son offre et lui répond sèchement “proceed”.
L’expédition rencontre très vite la glace, alors que la saison hivernale est pourtant loin d’avoir commencée. Le navire Endurance se retrouve rapidement prisonnier de la banquise, et Shackelton réalisant le sérieux de la situation, ordonne à ses hommes de décharger le navire et d’établir un camp pour hiverner sur place.

L’Endurance pris dans les glaces


Tandis bateau et campement dérivent avec la glace, le capitaine prend la décision d’embarquer sur les canots de secours pour trouver un campement plus sûr. Après plusieurs jours de mer, ils arrivent sur les côtes d’Eléphant Island après 497 jours de mer et de dérive. Elephant Island étant loin de toutes routes maritimes et n’étant pas fréquenter par les baleiniers, Sir Shackelton prend l’incroyable décision de reprendre la mer pour tenter d’atteindre la Géorgie du Sud où il sait que des stations baleinières sont installées.

Il embarque lui et 5 de ses hommes, qu’il sélectionne scrupuleusement, sur l’un des canots de sauvetage ouvert. Il n’emporte que 4 semaines de vivres, expliquant que s’ils ne parviennent à rejoindre la Géorgie d’ici là, ils seront morts de toutes façons.

le canaux de sauvetage avec lesquel Shackelton a rejoint la Géorgie du Sud en 15 jours


Après 15 jours de mer, en s’aidant des courants et malgré des conditions météorologiques exécrables (un bateaux de 500 tonnes coulera à seulement quelques miles de leur position), ils parviennent à atteindre la côte sud inhabitée de Géorgie, réussissant à traverser la pire mer du monde sur une embarcation de fortune. Les courants autour de l’île étant mauvais et la météo ne s’arrangeant pas, le capitaine prend le choix de traverser l’île à pied. Cette traversée n’a jamais été tentée, et l’île est  très montagneuse et gelée.

Ils réussissent la traversée et rejoignent les baleiniers, qui leur mettent un bateau à disposition pour retourner  à Punta Arenas. C’est du Chili que Shackelton organise l’opération pour secourir les 24 autres membres d’équipage qu’il a laissés sur Elephant Island.

Grace à ses talents d’orateur et ses relations, Shackelton réussit à obtenir un vieux bateau à vapeur de la marine chilienne, dont il prend les commandes pour retourner secourir ses 22 hommes d’équipage. Il les ramène quelques mois plus tard tous, saints et saufs.

retour de Shackelton pour secourir ses hommes restés à Elephant Islant

A son retour en Angleterre en 1917, en pleine première guerre mondiale, son premier geste est de se porter volontaire pour partir sur les fronts français. Trop âgé, ses demandes seront refusées.

Il repart pour une ultime expédition en Antarctique en 1920. Bien que de nombreux membres de son équipage n’aient pas reçu leur paie en intégralité lors du dernier voyage, beaucoup acceptent de l’accompagner dans cette nouvelle aventure, dont les objectifs restent imprécis. Devenu un gros buveur, il meurt d’une crise cardiaque en cours de route.

Alors que son corps est en chemin vers l’Angleterre, sa femme envoie un télégramme indiquant: “Enterrez le là où il a toujours été heureux”. Le bateau le ramenant en Europe se détourne alors de sa route et met le cap vers la Géorgie du Sud, où The Boss, comme le surnommaient ses hommes, repose toujours.

Si je vous ai fait partager cette biographie, c’est parce que je trouve l’histoire de Sir Shackelton inspirante. Dans une une société où la prise de risques est souvent considérée comme de la folie, où l’inconnu, y compris dans les plus anecdotiques moments du quotidien fait peur, et où la sécurité devient une valeur dogmatique, qu’il faut faire passer avant tout, y compris avant sa liberté et son épanouissement personnel, l’histoire pas si vieille de Shackelton et de ces explorateurs polaires est un agréable bol d’air frais.

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2 Comments

  1. Quel aventurier longtemps oublié ! Quel homme courageux, volontaire, plein d’idées, qui ne renonce pas mais qui ne met pas en péril son équipage. Tout ça sans nos moyens de communication. Je viens de lire sur le net tout ce qu’on raconte sur lui. j’en ressors avec “un bol d’air frais” comme tu le dis si bien. Ton texte, le choix des photos, vraiment bravo et merci.

  2. Quel aventurier longtemps oublié ! Quel homme courageux, volontaire, plein d’idées, qui ne renonce pas mais qui ne met pas en péril son équipage. Tout ça sans nos moyens de communication. Je viens de lire sur le net tout ce qu’on raconte sur lui. j’en ressors avec “un bol d’air frais” comme tu le dis si bien. Ton texte, le choix des photos, vraiment bravo et merci.

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