Lorsque j’ai préparé ce tour du monde, j’ai fait une liste des endroits où je voulais absolument aller. Vârânasî, ex Bénarès en faisait partie. Elle n’y figurait pas pour un monument précis que je voulais visiter, mais parce que je voulais voir de mes yeux le mysticisme qui règne dans cette ville.

Avant d’aller plus loin, peut-être faut-il que je vous en dise un peu plus sur  ce lieu, dont beaucoup d’entre vous n’ont peut-être jamais entendu parler.
Vârânasî se situe dans le centre nord du pays. La ville a été construite en bordure du Gange, le fleuve le plus sacré pour les Hindous. Selon la légende, il serait sorti de l’orteil de Vishnou avant d’être arrêté dans sa course par le sourcil de Shiva qui l’aurait emprisonné dans sa chevelure avant de le laisser redescendre sur Terre. C’est pas la Seine qui a une histoire comme ca !

Au risque de vous gonfler, un petit rappel sur l’hindouisme est aussi nécessaire pour comprendre ce site. Les Hindous croient en beaucoup de choses, énormément de dieux (pas loin de 2000…), et aussi, surtout devrais-je dire, en la réincarnation.

Pour faire bref, chaque individu a une âme qui lui est propre (un karma). A sa mort, le corps disparaît mais le karma lui se transmet sous une autre forme vivante.  On peut ainsi se réincarner sous forme humaine ou animale (et cela explique du même coup pourquoi beaucoup d’hindous sont végétariens…)

Le karma accumule au cours des réincarnations la somme des bonnes et mauvaises actions faites, et ce à travers les différentes vies. Présenter comme ca, ca paraît génial, puisque la mort n’en est en fait pas vraiment une, puisque l’on se réincarne. Oui, mais le problème, c’est que pour les Hindous, la vie sur terre est un calvaire terrible (cela dit pour certaine caste de la société, je peux le comprendre, mais c’est un autre sujet…); la seule chose qu’un Hindou recherche, c’est de sortir de ce cycle infernal des réincarnations pour enfin accéder au Mochkta, le paradis Hindou.

La bonne nouvelle pour lui, c’est qu’il y a une solution : c’est de mourir à Bénarès, y être brulé et avoir ses cendres déversées dans le Gange. Facile non ?

Cette vision de la vie et surtout de la mort aidant, les Hindous ne perçoivent absolument pas la mort comme nous. Ce n’est pas une fatalité… c’est quelque chose qui s’inscrit dans la droite lignée de la vie. Quelque chose de normale et de finalement pas triste du tout, puisque c’est au contraire libératoire…

Pour nous qui avons été élevés dans une culture monothéiste chrétienne, musulmane ou juive, ce n’est pas forcement facile à assimiler

Revenons maintenant à Bénarès, aujourd’hui. C’est une grande ville de 1.3 million d’habitants. L’un des lieux les plus saints pour les Hindous. Beaucoup de Saddhus, Gurus et autres personnes semi sacrées la fréquentent assidument, ou y vivent.

Du fait des « bénéfices » de mourir ici, un nombre non négligeable de vieillards en fin de vie viennent là en espérant pousser leur dernier soupir sur les bords du Gange. L’un des autres visages de la ville est donc aussi celui d’un mouroir géant.

La première chose qui interpelle lorsque l’on se promène dans la ville, ce sont les cortèges qui passent en chantant et en portant des brancards en bambou. Il s’agit des hommes de la famille du défunt qui transportent le corps jusque sur les Ghats (les bords du Gange) ou en permanence, 365 jours par an et 24 / 24 brulent les feux sacrés où sont incinérés les fidèles.

La cérémonie est pleine de symboles, mais dans les grandes lignes, le corps du défunt est d’abord immergé dans le fleuve, puis de l’eau est déversée dans sa bouche. Son crâne est ensuite fracassé à l’aide d’une hachette pour que le reste d’âme encore enfermé dans l’enveloppe charnelle puisse s’en échapper. Il est ensuite déposé sur un bucher dont la taille et la composition dépendent des moyens de la famille.

Les hommes de la famille sont vêtus de blanc. Le bucher, théoriquement fait de bois de Santer, est ensuite allumé par l’ainé, dont la tête a préalablement été rasée. Il utilise une flamme récupérée dans l’un des temples de la ville où brule le feu sacré de Shiva pour mettre le feu aux bucher.

La légende veut que cette flamme brule sans discontinuer depuis plus de 3000 ans, ce qui en fait l’un des plus vieux feu du monde.
Le corps se consume lentement, sur les berges du fleuve. Animaux et passants mélangés à quelques curieux passent au milieu des buchers. L’accès n’est ni restreint ni contrôlé.

Une atmosphère étrange règne. D’abord c’est une fumée âpre qui se dégage, avec une odeur étouffante de chair brûlée. Ensuite les intouchables, qui contrôlent le feu et la crémation se promènent avec de grands bâtons qu’ils utilisent successivement pour déplacer les buches, casser les os carbonisés pour assurer une meilleure combustion possible, mais aussi repousser les chiens qui s’approchent de trop prés.

Derrière les buchers, des vaches se baignent paisiblement dans le fleuve, tandis que certaines broutent les fleurs qui recouvrent le linceul de l’un des cortèges funéraires.

Aucune tristesse n’est visible, et à la lumière des croyances hindous, c’est bien normale puisque ce n’est qu’un passage, une délivrance même.
La famille n’assiste en générale pas à l’intégralité de la crémation du corps, qui est surveillée par l’intouchable. Elle revient après 3 heures, une fois que l’incinération est finie. Ils jettent alors les restes de corps et les cendres dans le fleuve avant d’éteindre le feu avec de l’eau du Gange.

A peine un bucher est éteint qu’un nouveau est allumé. Le flux des corps que l’on amène sans discontinuer alimente les buchers de jour comme de nuit.

A quelques dizaines de mètres des Ghats de crémation, des personnes font leurs ablutions en s’immergeant dans les eaux du Gange et en buvant une gorgée de son eau comme le stipulent les textes sacrés. Alors que certains ne font qu’une trempette rapide, d’autres en profitent pour se savonner, se brosser les dents ou encore faire leur lessive. Un peu plus haut sur les marches des Ghats, un Saddhu médite face au soleil.

Les scènes auxquelles j’assiste me paraissent surréalistes, d’autant que l’eau a une couleur verdâtre et que toutes sortes de choses, y compris des déchets humains flottent à la surface. Morts et vivants sont entremêlés, et tous baignent dans une saleté épouvantable.

Cela me laisse perplexe et même si je me force à appliquer ma règle d’or : observer sans juger, je ne peux m’empêcher d’être critique non sur les traditions et les croyances, mais sur la façon dont tout cela se déroule…
Je ne regrette pas d’être venu. Vârânasî ne peut laisser personne indifférent et l’on ne ressort pas indemne de cet endroit. Cela choque, cela perturbe nos certitudes, cela peut bouleverser… Il est impossible d’être insensible, mais il faut surtout s’abstenir de juger et observer.

Les scènes que j’ai vues m’ont choqué mais me donnent aussi à méditer beaucoup et pour longtemps sur une question dont l’humanité entière cherche la réponse : Qu’est ce que la vie, et surtout qu’est ce que la mort ?
Des éléments de réponse se trouvent certainement ici, à Vârânasî…

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2 Comments

  1. Une vision de la vie et de la mort assez loin de celle que l’on connait, difficile de juger, autre pays, autre culture, autres meurs…
    Merci pour ces explications passionnantes.

  2. […] de Diams. Cette heure passée avec cet Intouchable en charge de la combustion des corps à Vârânasî assis en face des bûchés dont il avait la charge. Ou encore cette rencontre avec un chaman […]

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